CLAIRE BRUNET

MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN PHILOSOPHIE.

PATRICK BOUCHAIN

« Pour la première fois, Agora du Design s’expose et présente les travaux de recherche des lauréats 2015, 2017 et 2019 au Pavillon de l’Arsenal. Dans un texte des années 1950, l’écrivain critique Maurice Blanchot faisait du quotidien cette vie insignifiante qui est, pourtant, « le lieu de toute signification possible « . Car si rien ne s’y passe, « ce mouvement immobile » a pourtant un sens… Et ce sens, précisément, les projets Agora 2020 le travaillent.

Ainsi, Pablo Bras projette une série d’objets détournant les eaux infinitésimales qui traversent nos habitats. Une gouttière devient chute d’eau… Aux frontières du paysage et du pavillonnaire, quelque chose d’imperceptible se produit.

Ainsi, Nathanaël Abeille dessine la tâche d’un designer éclairagiste du jour. Il greffe le mouvement des astres sur l’objet, mord sur l’architecture et propose des dispositifs où s’imprime le temps qu’il fait. Grisaille, nuages, soleil, pluie…

Partout, dans ces projets, le monde insiste.

Mais surgit une inquiétude : le design est-il enferré dans le tout proche ?

Martin De Bie s’y oppose et s’attaque aux chaînes de valeur de la production mondialisée. Avec son « électronique artisanale », il refuse activement la relégation des terres africaines où s’échouent les déchets du consumérisme digital.

Détritus et rebuts habitent aussi le projet de Samuel Tomatis: s’emparer des algues qui prolifèrent sur les côtes bretonnes et guadeloupéenne pour les transformer en nouveaux matériaux, voilà son ambition. Les reconsidérer.

Se profile dès lors un design d’après les destructions du productivisme, un design qui se faufilerait entre nature et industriel (1).

Loin des objets-phares de l’histoire de la discipline, ces projets habitent un entre-deux : résurgence de fleuves microscopiques insoupçonnés, retour des nuages dans la pollution lumineuse urbaine, prolifération d’algues détournées de leurs ravages, trajets océaniques de l’obsolescence digitale. Et tous font constellation avec le don des fleurs.

Car le travail de Christopher Dessus ramène la production horticole de masse à ses composantes pré-modernes. Faire exposition, c’est, pour lui, déplacer l’espace en crise de l’horticulture hors-sol et réactiver le geste banal du cadeau.

Comme les flux, luminescences, algues et coques de portables, ces fleurs rappellent que le cours des choses et les rythmes du monde se doublent toujours de conversations et de récits.

Ces six designers n’en sont pas moins hantés par la présence du passé, comme le rappelle le texte-enquête de Laure Garreau, qui tente la résurrection d’une exposition oubliée de Jean Prouvé, figure désormais fantomatique des temps optimistes d’un modernisme tempéré.

Toutes ces recherches sont d’aujourd’hui. Dans le monde tel qu’il est – entre déplacements de containers, circuits électriques et vie des plantes résistantes. Dans ces flux devenus territoires d’intervention pour une génération de jeunes designers, qu’ils écrivent ou fassent projet. »

CLAIRE BRUNET